En quoi travailler en « mode slash » est-il selon vous un vecteur de bien-être ?
Faire le choix de diversifier ses activités professionnelles et de l’assumer ne peut être à mon sens qu’une source d’épanouissement. Aujourd’hui, les « slasheurs » représentent environ 16 %* de la population active en France. Soit plus de 4,5* millions de personnes. Et parmi eux, 60 %* le font d’abord par choix.
C’est un véritable phénomène de société, qui touche toutes les générations, et pas seulement les « digital native »**. Pour certains, c’est un moyen de mettre à profit leur passion pour la musique, la peinture, le théâtre, en ayant « un job » à côté, pour se sécuriser financièrement.
Pour d’autres, dont je fais partie, c’est un moyen de vivre des expériences professionnelles extrêmement riches en cumulant différents métiers. Parmi les « slasheurs », que j’ai rencontrés, il y a des personnes de tous horizons : une cuisinière /créatrice de bijoux, un postier/ ingénieur du son, un taxi qui travaille dans un haras, une journaliste / architecte d’intérieur, une médecin / metteuse en scène et même une pilote d’avion / numérologue/ décoratrice… Tous ces « travailleurs multitâches » ont en commun une curiosité insatiable, et leur « ubiquité professionnelle » leur permet de pleinement s’accomplir.
Quels conseils donneriez-vous à une personne, qui voudrait devenir « slasheur » ?
La première chose consiste déjà à mener un travail d’introspection, pour identifier la « raison d’être », le fil conducteur de sa vie professionnelle. C’est ce qui structure toute votre démarche et lui donne du sens.
De prime à bord, il n’y a pas forcément de liens par exemple entre le fait d’être journaliste et décoratrice d’intérieur. Et pourtant, lorsqu’on est journaliste, on « architecte » l’information pour la rendre lisible, appropriable. Ce sont de mêmes types de compétences qui vont être mobilisées, pour restructurer l’intérieur d’une maison ou d’un appartement.
Pour ma part, depuis une vingtaine d’années, en tant que « slasheuse au long cours », j’ai mené de front des expériences très diverses dans différents secteurs. J’ai travaillé pour le festival d’Avignon, dans le social auprès des jeunes de quartier autour d’un projet musical, managé un chanteur, organisé des formations en développement personnel, créé une agence de communication dédiée à l’écologie, coaché des personnes, animé des formations…
Le point commun à toutes ces expériences ? Mon aspiration à révéler et développer les potentiels et les talents des personnes et des organisations que j’accompagne. C’est la raison d’être de ma vie professionnelle, ce qui lui donne tout son sens. Et qui fait que je me sens bien dans ce que je fais.
Avez-vous quelques « trucs » et astuces pour mener à bien cette réflexion ?
C’est vrai qu’il n’est pas toujours simple de prendre du recul. Il peut être intéressant de demander à des amis ou des proches quels sont vos talents, comment ils perçoivent votre parcours et les différentes facettes de votre personnalité. Leur regard est toujours précieux.
Quelques petits exercices simples à réaliser peuvent aussi vous aider à mener votre réflexion. Sur une feuille de papier, passez par exemple en revue tout ce qui ne vous convient plus et listez en parallèle les ingrédients de votre vie professionnelle idéale (domaine, environnement de travail, statut…). Cela vous aidera à y voir plus clair, et à identifier vos potentiels.
Valeurs, savoir-être, dons / talents naturels, compétences professionnelles et personnelles, centres d’intérêt… pourquoi pas non plus faire l’inventaire de vos atouts en les segmentant par grande famille, secteur / univers ou encore métier ?
Vous pourriez aussi déterminer ce que les Japonais appellent l’« Ikigai ». Comprenez par-là, votre « raison d’être », votre « moteur », « ce qui vous donne envie de vous lever le matin ».
L’ « Ikigai » se situe au croisement de 4 éléments : « ce pourquoi vous êtes doué », « ce que vous aimez le plus faire », « ce pour quoi vous pouvez être payé » et « ce dont le monde a besoin ». Réussir à faire le lien entre ces 4 éléments vous aidera à identifier le but et le sens que vous voulez donner à votre vie, votre point d’équilibre.
Et au niveau du CV ?
Le but sera de rendre votre profil le plus cohérent, le plus lisible et le plus évident possible aux yeux du recruteur, qui ne fera pas forcément le lien entre toutes vos compétences. Pour cela, il est pertinent de créer des CV thématiques pour chacun de vos métiers. Ils vous permettront de faire des focus sur l’une de vos expertises correspondant au poste recherché. A vous de détailler ces expertises en fonction des expériences qui s’y raccrochent. Présentez ensuite celles-qui sont secondaires comme des expériences complémentaires. Présentez votre profil et votre parcours de manière positive, et soyez toujours convaincu que votre différence est votre force.
Pour faire ressortir votre singularité, pensez aux CV interactifs ou CV vidéos et travaillez votre « story-telling », autrement dit le fil rouge de votre parcours. Et même si vous recentrez votre expertise en lien avec la mission pour laquelle vous postulez, vous pouvez mettre en avant vos atouts et spécificités de « slasheur ».
Sur le plan pratique, le statut micro-entrepreneur est très utile pour vous lancer en tant que « slasheur ». Il vous permettra de tester de nouvelles activités, sans risque, tout en conservant la possibilité de rester salarié. Vous aurez ainsi le temps d’affiner votre projet et de choisir alors un statut adapté et plus sécurisant.
« Slasheur », c’est donc un métier d’avenir ?
Si la « monoactivité » reste la norme du travail, les mentalités évoluent. Je suis convaincue que les « slasheurs » vont devenir des profils de plus en plus recherchés par les recruteurs. Leur capacité d’adaptation, leur créativité, la vision globale qu’ils cultivent sont à forte valeur ajoutée. Ils sont curieux, polyvalents et ont le goût d’apprendre. Les entreprises ont tout à gagner à s’appuyer sur de tels collaborateurs dans un contexte où l’agilité et l’innovation représentent des défis majeurs.
En 2030, avec la digitalisation et la nomadisation des métiers, 60 % des compétences actuelles pourraient devenir obsolètes***. Les moins de 30 ans****, devraient exercer en moyenne 13 métiers dans leur vie, dont la plupart n’existent pas encore. L’agilité et la capacité à rebondir des « slasheurs » seront alors forcément une force. Et plus vous révélerez votre singularité, plus on viendra vous chercher précisément pour elle.
Profession Slasheur, édition Hachette Livre (Marabout)
*Étude SME
**Enfants du numérique, génération née entre la fin des 1980 et le début des année 1990
*** Etude Research Group Collaborative Spaces
**** OCDE