Quelle est la vocation du Comité Colbert ?
B.E : Le Comité Colbert fête cette année ses 70 ans ! Si à l’origine l’ambition était de rassembler les filières du luxe, de créer une nouvelle génération d’artisans et de faire rayonner cette industrie à l’international, l’objectif est plus que jamais le même aujourd’hui. Reconnu d’intérêt général, le Comité Colbert œuvre à la préservation et à la transmission des savoir-faire des quatorze filières qui composent la toile du luxe et du savoir-vivre français. Le recrutement est un enjeu fondamental de notre activité, à une époque charnière où la pyramide des âges devient défavorable, avec le départ à la retraite de toute une génération née dans les années 1960. Son nécessaire remplacement est urgent, car pour faire un bon joaillier, un bon maroquinier ou un bon couturier, il faut au moins cinq ans. Ce n’est pas tant que les formations soient longues, mais la pratique dans les entreprises est essentielle pour devenir autonome.
On parle d’un besoin de 20 000 emplois d’ici à 2025 en France. Quels sont les secteurs particulièrement en demande ?
B.E : Maroquinerie, joaillerie, mode sous toutes ses coutures… L’ensemble des filières du luxe recrute. Le secteur traverse certes un petit trou d’air actuellement, lié à la baisse des ventes en Chine, mais les États-Unis redémarrent. La santé économique du luxe est cyclique. Mais sur le long terme, elle est toujours dynamique. Il y a toujours quelque part dans le monde une envie de luxe. Une classe moyenne qui émerge et qui, tout à coup, par « nécessité sociale », achète du luxe. Ce qui explique la croissance phénoménale du secteur.
« Contrairement aux idées reçues, le luxe ouvre ses coulisses aux personnes issues de parcours professionnels tous différents. »
Le luxe se porte bien mais peine à recruter, notamment les jeunes. Pour quelle raison ?
B.E : Les métiers du luxe souffrent d’une vraie méconnaissance. Ils sont quasi invisibles ! Par exemple : lors d’une matinée de formation organisée par LVMH dans un quartier prioritaire du Grand Paris, une majorité d’élèves de 6e et 5e interrogés sur leur vision des métiers d’excellence a répondu « influenceur » ou « footballeur »… C’est dire le combat à mener pour intéresser les jeunes générations aux métiers de la main, aux abonnés absents du parcours général scolaire depuis la suppression des travaux manuels. Ces derniers permettaient pourtant de tester l’agilité des élèves et de les confronter à la matière. Abreuvés de produits finis, aucun ne sait aujourd’hui comment ces produits se fabriquent, ni que, derrière, il existe des artisans qui « font ». Cette industrie en général, et les métiers manuels en particulier, souffrent d’une désaffection liée à ce manque de visibilité chez les jeunes. Mais aussi au manque de considération chez leurs parents, voire chez les conseillers d’orientation. Il nous faut éveiller cette population pour convaincre du potentiel des métiers manuels du luxe et leurs débouchés.
Les adultes boudent-ils aussi les filières ?
B.E : Certaines classes de CAP sont parfois partiellement vides, quand d’autres parviennent à attirer des adultes en reconversion, notamment depuis la période Covid. Des actifs de tous horizons se sont positionnés sur nos métiers par quête de sens, l’envie de fabriquer de leurs mains. Cela témoigne d’une industrie qui n’est pas fermée, contrairement à l’image qu’elle pourrait avoir. Une maison comme Hermès recrute d’ailleurs sans diplôme, et forme tout en rémunérant les candidats. Contrairement aux idées reçues, le luxe ouvre ses coulisses aux personnes issues de parcours professionnels tous différents !
Les métiers du luxe souffrent-ils encore de préjugés ?
B.E : La question des salaires est un paramètre important chez les jeunes générations, il faut l’entendre. Dans nos maisons, le premier salaire d’un artisan équivaut aujourd’hui à celui d’un professeur à ses débuts. Tandis qu’en fin de carrière, il peut excéder celui d’un cadre. Et les métiers offrent des évolutions, comme partout. On se forme, on grandit, les entreprises le permettent ! Autre paramètre pouvant être problématique : la mobilité géographique. Pourtant, le territoire est maillé de bassins d’emplois dynamiques clairement identifiés et de nombreuses écoles de formation.
« Nos égéries, ce sont nos artisans mis en lumière pour inspirer d’autres jeunes.»
Chaque région a-t-elle pour son savoir-faire ?
B.E : En 2021, nous avons réalisé une carte de France des implantations de nos maisons. Résultat : aucun trou dans la raquette, à l’exception peut-être de la pointe bretonne et de la Creuse. La région Rhône-Alpes pour le cuir et la joaillerie, l’Ouest pour la joaillerie et le prêt-à-porter, la région Centre pour la cosmétique, le Nord pour la verrerie, l’Est pour le cristal… Sans oublier les terroirs de vins en Champagne, en Bourgogne et dans le Bordelais. La couverture du luxe made in France est homogène. Et c’est d’ailleurs pourquoi le Comité Colbert se décentralise ! En juin 2024, nous étions présents à Lyon pour l’événement grand public « Les de(ux)mains du luxe » aux côtés des meilleurs ouvriers de France, des écoles et des DRH. L’objectif était d’inspirer les jeunes en dévoilant concrètement nos métiers et les filières pour s’y préparer. De la fabrication d’un petit bracelet à l’atelier Chanel au cisèlement d’un verre chez Baccarat… l’envie passe par la pratique !
Les manufactures ouvrent-elles leurs portes au public ?
B.E : Absolument ! Nous avons à ce titre initié avec l’Institut pour les savoir-faire français (anciennement Institut national des métiers d'art) un programme intitulé « À la découverte des métiers d’art ». Dans les régions, nos manufactures se portent candidates à l’accueil d’élèves de 4e et 3e, avec une visite le matin et la découverte du lycée professionnel l’après-midi. Ce programme, qui mérite d’être développé dans toutes les régions, montre qu’un écosystème d’emplois fonctionne tout près, dans les 20-30 kilomètres de l’environnement des collégiens. De plus en plus d’entreprises participent également aux Journées européennes du patrimoine : il faut visiter ces lieux d’exception !
Si les jeunes ne viennent pas au luxe, le luxe ira-t-il vers les jeunes ?
B.E : Notre mission est d’aller les chercher là où ils se trouvent ! Après notre lancement sur TikTok en juillet 2023, le réseau social nous a proposé de travailler ensemble à la promotion du hashtag « savoir-faire », qui recense 500 millions de vues aujourd’hui. Depuis, nous avons réalisé des petites vidéos avec les apprentis de nos maisons, qui expliquent pourquoi ils ont choisi ce métier, avec quelle école… Et c’est un succès ! Nos égéries, ce sont nos artisans mis en lumière pour inspirer d’autres jeunes. C’est une grande nouveauté pour nos maisons qui, jusque-là, les cachaient comme on préserve un secret de fabrication. Le voile est désormais levé sur des métiers épanouissants, un artisanat d’art à travers lequel chacun peut se réaliser, être fier du travail accompli. Le luxe, c’est un patrimoine exceptionnel que le monde entier nous envie. Il ne faut pas que ça se perde.
Chanel, Longchamp, Cartier... rencontrez-les dans le Maine-et-Loire, en novembre 2024
Les « De(ux)mains du luxe » planteront leur tente du 21 au 23 novembre 2024 dans le Maine-et-Loire, à Cholet, dans le cadre du « Carrefour de l’orientation ». L’occasion pour les visiteurs, jeunes ou moins jeunes, de tester leur agilité en présence d’artisans expérimentés. La possibilité aussi de découvrir les parcours de formation disponibles dans la région.