
Fabien Olicard - photo Laura Gilli 2022 (C)
En tant que mentaliste, comment jouez-vous avec l'attention du public ?
Fabien Olicard : Je ne détourne pas l'attention, je la guide où je souhaite qu’elle aille. À travers mon métier de mentaliste, je dirige l'attention psychologique des gens depuis quatorze ans pour en faire un divertissement. Je suis également conférencier. Cela demande du divertissement pour le premier et de la pédagogie pour le deuxième. Or, ces dernières années, j’ai remarqué que je devais intégrer de plus en plus une forme de divertissement à mes conférences pour réussir à garder l’attention d’une cible qui a pourtant choisi d’être présente. C'est ce constat qui m’a poussé à écrire pour tirer la sirène d’alarme et essayer d’orienter vers des solutions.
« Attention, concentration et mémoire travaillent toutes autour de la même table et de façon interconnectée. »
Comment l'attention, la concentration et la mémoire sont-elles liées ?
F.O. : Nous avons tendance à nommer de façon individuelle ces trois fonctions cognitives, mais il ne faut pas oublier qu’elles travaillent toutes autour de la même table et de façon interconnectée. Si je prends l'exemple de la mémoire, c’est un peu comme une boîte de nuit où les souvenirs rêvent de s'incruster. Devant l'entrée, il y a deux videurs : l'émotion et l'attention. Les émotions vives, qu'elles soient positives ou négatives, marquent et passent donc la porte d’entrée. Puis il y a l'attention. C’est elle qui décide si vous pouvez rentrer ou non, si une information vaut le coup d’être retenue. En réalité, si vous, qui êtes aux manettes, décidez de ne pas prêter attention à quelqu’un ou quelque chose, la mémoire se demande alors pourquoi, elle, elle devrait le faire ! En résumé, l’attention est le projecteur qui dirige le travail de la mémoire.
Enfin, il y a l’attention que nous portons volontairement et en pleine conscience : la concentration. C'est quand vous choisissez de ne pas laisser les petites choses vous distraire que vous gardez le contrôle de votre attention.
Et malheureusement, c’est là que je tire la sonnette d’alarme : cette concentration est aujourd’hui cassée. Ou en tout cas parasitée.
Quelles sont les causes de cette dégradation de notre concentration ?
« C'est comme si rester seul avec ses pensées était insoutenable. »
F.O.: Malheureusement, notre société a trouvé le moyen de monétiser l’attention via les publicités, les réseaux sociaux… Ce faisant, nous avons abîmé notre capacité d'attention. Le principal piège aujourd'hui, qui vient donc de l’utilisation massive de la monétisation de l'attention, et en plus l'apport de nouvelles technologies, c'est d'avoir rendu tous les cerveaux humains dépendants à la dopamine. Ce neurotransmetteur est responsable du plaisir. Plus on en a, plus on est un heureux. C’est en quelque sorte une récompense du cerveau. Et si, avant, nous la recevions en pratiquant du sport intensément ou en trouvant un abri pour la nuit, aujourd’hui, elle nous est diffusée pour des broutilles, comme un like sur Instagram ou une blague par SMS. Nous en voulons toujours plus, toujours plus vite. Cela rend notre cerveau dépendant et diminue l'intérêt pour des plaisirs plus constructifs et posés comme la lecture ou l'apprentissage, qui semblent bien fades et lents en comparaison.
Quelles pourraient être les conséquences à long terme de cette dépendance à la dopamine ?
F.O : Au-delà de la perte de concentration ou de mémorisation immédiate, il y a des conséquences plus graves sur le long terme. C'est d’ailleurs ce qui m’a encouragé à écrire ce livre : Votre attention est votre superpouvoir*. Je m’inquiète pour les futures générations. Chez les plus jeunes, le manque d’attention peut mener à un manque de motivation. Voire à des dépressions chroniques, parce que sans attention, on ne se lance pas dans des projets et on ne se pose pas de défis.
Dans ma jeunesse, j'ai appris plein de choses parce que je n’avais pas de smartphone pour me distraire. Nous avions le temps de nous poser des questions, d'essayer des expériences nouvelles. C’est d’ailleurs fou de réaliser que beaucoup de gens ne supportent pas le silence et l’inactivité. Au restaurant, si vous vous absentez, chronométrez le temps avant que votre compagnon de table ne sorte son téléphone. C'est comme si rester seul avec ses pensées était insoutenable. Alors que c'est dans ces moments de calme que le cerveau se met au travail. Il gère la mémoire, stimule la créativité et renforce l'attention. Ne rien faire, c'est en réalité laisser notre cerveau accomplir ses tâches essentielles.
Peut-on reprogrammer son cerveau pour améliorer son attention et sa mémoire ?
F.O : Oui et c'est la bonne nouvelle ! Tout ce que je vous raconte peut paraître alarmant, mais ce n'est pas irréversible. Cependant, il en va de la responsabilité individuelle et collective de changer cela. Si vous en prenez conscience et que vous avez vraiment la volonté de changer, vous avez déjà fait la moitié du chemin. Ensuite, c'est une question de changer ses habitudes. Je ne pense pas qu’il faille diaboliser les téléphones portables, vecteur de dopamine, mais nous devons réapprendre à les utiliser. N’avez-vous jamais ouvert votre portable, regardé votre écran sans réel but et fini par scroller sans fin en passant d’une application à une autre ? Moi, par exemple, je coupe les notifications. Ainsi, je vais sur mon téléphone quand je l'ai décidé et non l'inverse. L'important est de choisir ce que vous voulez faire et de le faire consciemment, plutôt que de vous laisser porter par les sollicitations constantes.
Il faut donc revoir son usage des téléphones portables. Mais au quotidien, lorsque l’on travaille derrière un ordinateur, comment réussir à ne pas perdre son attention ?
F.O : Il faut peut-être repenser notre manière de travailler. Travailler non-stop pendant des heures est contre-productif. Pourquoi ne pas adopter la méthode Pomodoro : vous vous concentrez sur une mission unique et précise pendant quinze à vingt minutes, puis vous faites une vraie pause de cinq minutes, sans écran. Vous verrez, en fin de journée, vous serez plus productif et moins épuisé. Adopter des sessions de travail intenses suivies de vraies pauses (idéalement sans portable !) permet d'augmenter la productivité et d'éviter la dispersion involontaire. Et si vous craignez de perdre votre temps, testez puis comparez avec votre productivité de la veille…
La multitasking est donc un ennemi ?
« Ce n’est donc pas notre attention qui est cassée, mais notre capacité à la diriger. »
F.O : Le multitâche est un mythe. Notre cerveau, aussi fort soit-il, ne peut pas gérer plusieurs tâches de front. Tentez de cuisiner, de surveiller votre enfant et d’écouter un podcast en même temps. Vous n’aurez rien retenu du podcast et mangerez un plat pas terrible, car votre cerveau aura priorisé la surveillance de votre bébé. Il est important de savoir que chaque fois que notre cerveau alterne d'une tâche à une autre, il subit un coût cognitif, semblable à une jauge d'attention qui diminue comme l'essence. En multipliant les tâches et les allers-retours, nous épuisons cette ressource précieuse.
Auriez-vous un conseil pour remuscler notre cerveau ?
F.O : Absolument ! Il existe des techniques très simples et réalisables partout, telles que la méthode 5-4-3-2-1 : vous prenez un instant pour observer consciemment 5 choses que vous voyez, puis vous analysez 4 sons, ressentez 3 sensations que vous éprouvez via le toucher, 2 odeurs différentes que vous percevez et enfin, 1 goût. Cela permet à notre cerveau de se réancrer dans le présent et d’arrêter ce mode pilotage automatique, où l’attention part dans tous les sens. En général, au bout de l’exercice, on se rend compte que l’on ne pense plus à rien d’autre. Le projecteur de l’attention s’est recentré sur la scène principale. En résumé, ce n’est donc pas notre attention qui est cassée, mais notre capacité à la diriger.
*First Editions, 2024.