La méthode de recrutement par simulation (ou MRS) est un produit France Travail dédié aux entreprises, créé en s’inspirant de modèles anglo-saxons, notamment canadiens. Elle permet de sélectionner des candidats pour des métiers qui n’exigent pas de diplôme d’État, et se destine à des entreprises ayant des besoins récurrents et qui souhaitent s’ouvrir à d’autres profils. La force de la MRS est qu’elle permet de recruter par détection des potentiels de compétences de base, ou « habiletés ». Un atout dans des secteurs en forte tension. Dans la région Centre-Val de Loire, le groupe LSDH a ainsi recruté 18 conducteurs de ligne automatisée depuis 2023.
« Ils nous ont fait confiance »
La laiterie de Saint-Denis-de-l’Hôtel a été créée en 1909 par un groupe d’agriculteurs. Depuis lors, le groupe LSDH s’est beaucoup développé, mais il est resté une entreprise familiale, avec une gamme qui s’est diversifiée : en plus du produit historique, le lait, il conditionne aujourd’hui jus de fruits, soupes, gaspacho, et produits végétaux. L’entreprise compte aujourd’hui 2000 collaborateurs, dont 700 sur son site historique, qui est à la fois son usine la plus importante et le siège social du groupe.
En 2023, LSDH fait face à d’importants besoins de recrutement pour le poste de conducteur de ligne automatisée. Karine Loiseau, conseillère à la Relation Entreprise à France Travail, propose à l’entreprise d’essayer la MRS. Une première rencontre est organisée avec les responsables de LSDH : directeur de sites, ingénieurs, responsable d’atelier. « Personne ne connaissait cette méthode, et les gens n’étaient pas nécessairement convaincus, au départ, par l’idée de recruter des gens sans expérience et venus d’autres secteurs d’activité », se souvient-elle. « Cela demande un changement de posture de la part du recruteur : ce n’est pas simple de se dire qu’on va lui envoyer des candidatures qui ne sont pas nécessairement issues de son secteur. Ils nous ont fait confiance. »
Une co-construction permanente
Après cet accord de principe, on peut entrer dans le vif du sujet : la construction des tests que passeront les candidats. Amaury Stocklin, conseiller MRS Loiret à France Travail, commence par rencontrer des personnes en poste et des responsables, observe leur travail et en extrait des habiletés « En l'occurrence, il s’agit de la capacité à respecter normes et règlements, à se représenter un processus de production automatisé, de la capacité à faire preuve d’autonomie et d’initiative… », résume-t-il. « Ces habiletés sont ensuite pondérées avec les retours de la RH, du n+1, et du salarié observé. C’est une co-construction permanente avec l’entreprise. » La fiche ainsi établie est validée par la direction générale de France Travail, qui fournit ou aide à créer un kit d’exercices. Ce sont ces exercices qui permettront de « simuler » le métier dans une salle pour évaluer les candidats. Vient ensuite l’étape de l’étalonnage : six collaborateurs actuellement en poste, avec des niveaux d’expérience variable, passent les tests. On obtient ainsi une note seuil au-dessus de laquelle on estime que le candidat disposera des habiletés requises. « Ce sera la note à atteindre pour garantir le potentiel technique du candidat », précise Amaury Stocklin.
Pouvoir se projeter dans le poste
Quand tout est fin prêt, Karine Loiseau diffuse l’offre d’emploi dans son agence et auprès de ses collègues dans tout le bassin pour lancer une campagne de recrutement. Les candidats peuvent se positionner en complète autonomie sur l’application de France Travail pour manifester leur intérêt. « Aujourd’hui, on change de plus en plus d’activité et de secteur au cours de sa vie professionnelle », explique Amaury Stocklin. « Or la MRS est idéale pour les reconversions : l’offre d’emploi est ouverte à tous, sans critère discriminant. On indique seulement les contraintes physiques indissociables du poste (véhicule nécessaire, port de charges lourdes…), mais sinon l’inscription est libre. On voit même des gens encore en poste et qui pensent à une reconversion. »
Le jour dit, les candidats sont d’abord conviés à une réunion collective pour découvrir le site de la laiterie et l’environnement de travail. « C’est ça qui garantit la réussite : prendre le temps de présenter l’entreprise, et permettre de se projeter dans le poste de conducteur de ligne. » Après la visite, un temps d’échange permet aux candidats de poser des questions, et les représentants de France Travail présentent le test pour permettre aux candidats de décider s’ils souhaitent le passer ou non. Ceux qui acceptent reçoivent une convocation pour venir passer le fameux test dans les jours qui suivent, à l’agence France Travail. « Le test prend environ trois heures. Il y a dix candidats au maximum. Les exercices sont chronométrés, et on fait le nécessaire pour mettre tout le monde dans des conditions d’équité, sans trop les stresser », rassure Amaury Stocklin. « On n’est pas à l’école ». Les exercices sont corrigés dans la demi-journée qui suit, selon une grille déterminée par France Travail et l’entreprise. « Ceux qui ont échoué, on va retravailler avec eux, essayer de voir ce qui a pêché », explique Karine Loiseau. Pour les candidats qui ont réussi, l’aventure continue.
Une question de savoir-être
« La MRS garantit à l’entreprise que les candidats qui réussissent les tests auront la capacité à faire le métier visé, et à suivre les formations internes », explique Amaury Stocklin. « Aujourd’hui, ce qui intéresse les entreprises, c’est d’abord un savoir-être, et la capacité à comprendre rapidement les formations internes pour devenir opérationnel. » Les candidats qui ont atteint la note seuil au test sont tous reçus en entretien individuel de motivation par l’employeur. Libre ensuite à l’entreprise de recruter ou non. « On demande au candidat de se présenter, pour comprendre ses motivations. Le manager n’a toujours pas le CV du candidat, donc c’est un exercice un peu différent de l’habitude », explique Julie Couvret, chargée de développement des compétences à LSDH. « Cela nous permet de sortir un peu du profil type qu’on recrutait pour nous ouvrir à d’autres profils. »
Cyrielle Kerbaol Delame, responsable des RH de l’entreprise, est convaincue. « Je pense que la MRS est très adaptée à une entreprise comme LSDH qui a des valeurs très fortes et qui fait une place très importante au savoir-être. Avec les tests, France Travail nous a assuré que les personnes avaient le potentiel pour tenir le poste, à nous de les intégrer et de les former », indique-t-elle. Depuis la mise en place de la MRS en 2023, LSDH a embauché 18 conducteurs de ligne automatisée. Tous sont toujours en poste. « Avec le recul, on constate que les personnes ont aussi le sentiment qu’on leur a donné leur chance sur un métier qu’ils ne maîtrisaient pas, ce qui leur donne de la persévérance. »
Un investissement payant
Naturellement, LSDH ne peut pas se reposer à 100% sur la MRS, qui exige une certaine patience. « Ce sont des profils vraiment juniors qui nécessitent plus de temps de formation et d’intégration », explique Julie Couvret. Chez LSDH, on estime qu’il faut compter 6 semaines de formation et d’accompagnement en binôme, entre le moment où une personne est recrutée et celui où elle acquiert une certaine autonomie. « Pour l’employeur, la prestation est gratuite », précise Amaury Stocklin. « Ça ne coûte rien, mis à part un peu de temps. » Seule condition, le volume de candidats : France Travail lance le processus quand l’entreprise recrute sur plusieurs postes identiques. Au niveau national, la méthode affiche un taux de maintien dans l’emploi à 1 an de plus de 80%, tous secteurs confondus. Et le taux de satisfaction des recruteurs atteint 91%. « Au final tout le monde est gagnant, et France Travail remplit vraiment sa fonction », conclut Amaury Stocklin. « Quand on investit qualitativement, des deux côtés, et qu’on prend le temps, ça fonctionne. »