Entreprises de sécurité : comment féminiser vos équipes ?

La sécurité a longtemps eu l’image d’un milieu exclusivement masculin. Pourtant, les femmes y ont toute leur place, même si les entreprises du secteur peinent souvent à en recruter. C’est pour y remédier qu’en 2020, l’OPCO AKTO, BetC Formation et France Travail ont fait le pari de créer SÉKURIT’Elles, un parcours de formation dédié aux métiers de la sécurité et conçu pour les femmes. Après huit promotions en région Centre-Val de Loire, le succès est clairement au rendez-vous : depuis près de trois ans, toutes les femmes formées sont embauchées dès leur sortie, et la formation se développe aujourd’hui dans de nombreuses villes de France.

En 2019, un rapport professionnel sur les métiers de la sécurité pointe du doigt le manque de femmes parmi les effectifs du secteur. L’opérateur de compétences AKTO décide de passer à l’action et réunit France Travail, le centre de formation BetC et la Mission locale d’Orléans pour développer le projet SÉKURIT’Elles : une formation aux métiers de la sécurité exclusivement destinée aux femmes. Le projet se concrétise dès 2020, et la session la plus récente s’est déroulée à Saran du 11 mars au 4 juin 2024. « C’était la huitième au niveau régional et la cinquième au niveau départemental », indique Sophie Fougereau, conseillère référente au sein de l’agence France Travail Orléans Est. « Cette fois, 12 apprenantes ont bénéficié de ce parcours 100% féminin. En tout, une cinquantaine de femmes ont été formées depuis sa mise en place, et cette POEC est dorénavant démultipliée dans de nombreuses villes de France sur le modèle développé dans le Loiret ».


« Il n’y a pas de profil type »

Pour en arriver là, il a d’abord fallu passer plusieurs obstacles. Le premier, et non des moindres, était le sourcing. « Pour nous, la question était d’abord : comment allons-nous attirer des profils féminins vers cette formation ? », indique Baptiste Beyssac, responsable du centre de formation BetC, qui a conçu le parcours. Les préjugés ont la vie dure, et les demandeuses d’emploi ne pensent pas nécessairement à se tourner vers les métiers de la sécurité. France Travail a donc ciblé non seulement les femmes qui avaient déjà évoqué ce secteur lors d’un entretien, mais a aussi élargi le spectre : femmes qui avaient déjà travaillé en équipe, travaillé de jour et de nuit… Les personnes intéressées passaient un entretien avec leur conseiller référent, puis participaient à une réunion d’information collective organisée par France Travail et ses différents partenaires (AKTO, BetC formation, SECURITAS…).

« Nous avons créé un évènement sur un format de quatre heures avec différents ateliers : présentation du matériel, intervention de France Travail pour la partie indemnisation, un atelier avec des femmes déjà en poste d’agente de sécurité dans des entreprises, démonstrations de self-défense… Tout ce qui pouvait attirer l’œil », raconte Baptiste Beyssac. Et ça marche : dès 2020, une dizaine de femmes assistent à la première édition. Aujourd’hui, elles sont une cinquantaine à chaque nouvelle réunion. Les femmes intéressées sont ensuite reçues en entretien individuel par BetC, et la session de formation commence avec celles qui sont retenues. À l’arrivée, on trouve une vraie diversité parmi les apprenantes. « Le profil des stagiaires est très hétérogène », indique Sophie Fougereau de France Travail. « De 17 à plus de 50 ans, de secteurs divers, d’origines diverses… Il n’y avait pas de profil type. Chaque stagiaire a su trouver sa place et s’apporter mutuellement. »


Recréer des situations de terrain

En plus des formations réglementaires et certifications qui permettent d’obtenir la carte professionnelle, SÉKURIT’Elles intègre tout ce qui permet de favoriser l’employabilité des apprenantes : sécurité incendie, habilitations électriques… De plus, sur les 400 heures du parcours, une centaine sont consacrées aux compétences transverses. « Nous avons sollicité une troupe de théâtre pour créer un module contribuant à renforcer la confiance en soi, et du théâtre forum pour recréer des situations qu’un agent peut rencontrer sur le terrain », raconte Baptiste Beyssac. Ces exercices permettent aux apprenantes de renforcer leur posture, et d’explorer les moyens d’appréhender les situations conflictuelles. AKTO a également insisté pour que la formation aide les apprenantes à gérer le côté émotionnel du métier. « Les agents de sécurité travaillent dans l’instantanéité, donc il peut y avoir des moments stressants », poursuit Baptiste Beyssac. « Le soir, quand on rentre chez soi, on peut se demander comment digérer ce qu’on a vécu dans la journée. C’est pour cela que nous avons intégré un module de sophrologie, dont le but est de transmettre des astuces pour gérer différemment les émotions qui peuvent s’accumuler. C’est très neuf, dans un métier où on est censé encaisser en silence. »
Cette approche et l’encadrement offert par France Travail et la Mission locale ont créé un contexte porteur, qui permettait aux apprenantes de se concentrer pleinement sur leur parcours. Résultat : sur les huit sessions, le taux d’abandon a été extrêmement faible. « Et nos taux de certification sont également bien meilleurs que ceux d’autres groupes mixtes », ajoute Baptiste Beyssac.


Partir des besoins des entreprises

Aux racines de cette réussite, il y a une réelle compréhension du métier. « On est parti des besoins des entreprises du secteur, qui nous faisaient part d’un manque de personnel féminin dans leurs équipes », indique Baptiste Beyssac. Mais en dépit de ces besoins manifestes, il a d’abord fallu justifier du fait que l’approche n’était pas discriminatoire, et parfois vaincre quelques résistances dans le milieu professionnel. « À l’origine, ce qui nous tenait à cœur avec France Travail et AKTO, c’était de nous entourer d’entreprises qui n’étaient pas là pour la com’, mais bien pour la cause. Si le seul argument était "on a besoin de femmes pour la palpation", nous avions tendance à les écarter, parce qu’il fallait une approche bienveillante, humaine, avec une vraie volonté de promouvoir les femmes au sein des métiers de la sécurité », explique Baptiste Beyssac. « Nous avons eu la chance d’avoir une entreprise de sécurité à Orléans qui est dirigée par une femme, et qui a été la première marraine de SÉKURIT’Elles. Ce partenaire historique est toujours avec nous, et aujourd’hui les autres se battent pour participer. Ils nous accompagnent, recrutent, et viennent rencontrer les femmes. »

L’implication en amont des entreprises du secteur pendant la formation est un facteur clé de sa réussite. Il y a notamment des échanges avec des agents de sécurité afin que les apprenantes puissent connaître toutes les spécialités et toutes les attentes du métier. La formation inclut aussi des immersions : les entreprises accueillent les apprenantes chez le client pour leur permettre de rencontrer des femmes déjà sur le terrain. « C’est un plus quand ce sont des femmes qui parlent aux femmes, mais nous avons aussi des hommes qui interviennent, car en réalité les apprenantes vont nécessairement travailler aussi avec des hommes », explique Baptiste Beyssac.


Une fierté légitime

« À l’issue de la formation, toutes les stagiaires ont obtenu leur diplôme et une grande majorité d’entre elles avaient des opportunités d’embauche (CDD ou CDI), notamment dans le secteur du nucléaire », se félicite Sophie Fougereau de France Travail. Deux indicateurs sont particulièrement encourageants : avec SÉKURIT’Elles, les apprenantes rentrent immédiatement en emploi dès la fin de la formation ; et elles restent en emploi dans le secteur plus longtemps que la moyenne. « Aujourd’hui, 84% des SÉKURIT’Elles sont toujours en emploi dans le secteur », renchérit Baptiste Beyssac. Fort de ce succès, depuis 2023 AKTO a porté ce parcours sur d’autres territoires, y compris à l’outre-mer, si bien qu’aujourd’hui ce sont près de 300 femmes dans tout le pays qui le suivent. Cette réussite est un motif de fierté pour ses créateurs : « Cela demande plus d’énergie que d’autres formations, mais on a une vraie satisfaction. Les parcours des apprenantes sont parfois très difficiles et on est d’autant plus fiers de les voir réussir la formation et aller directement en emploi. On a formé de vraies battantes », conclut Baptiste Beyssac.